LA
CONSTRUCTION NAVALE
A CIBOURE AU XXème SIECLE

Cet article,réalisé
par une équipe d'Itsas Begia, est une partie d'un
article sur la construction navale au Pays Basque Nord
réalisé en collaboration avec Manex Goyenetxe
pour le Musée Naval de St Sebastien . Cet article se
trouve sur la publication : "LA CONSTRUCTION NAVAL EN EL
PAIS VASCO" ITSAS MEMORIA N°2 du Musée naval de
Saint Sebastien (voir notre page Publications)
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Généralités
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La fin du
XIXème siècle marque l'abandon des
embarcations traditionnelles à voile et avirons,
employées pour la pêche côtière,
au profit des chaloupes à vapeurs. Les
trainières et txalupas, utilisées pour des
types de pêche différents, sont
remplacées par les vapeurs qui peuvent utiliser ces
différentes techniques de pêche et
présentent l'avantage supplémentaire de ne
plus dépendre du vent.
Au XXème
siècle, la construction navale locale est
influencée par l'évolution des motorisations
(passage de la vapeur au moteur diesel), et suit les
périodes d'essor et de récession en fonction
des différentes pêches pratiquées : la
sardine à la bolinche, dans la première
moitié du siècle, et le thon à la canne
à l'appât vivant, pendant la décennie
1950-60. Avec le développement de la pêche au
thon tropical à Dakar, on assiste au déclin de
la construction locale : les bateaux utilisés pour
cette pêche sont d'un modèle étranger,
et ne sont plus construits à Ciboure. Par la suite,
avec le développement de la pêche au chalut, en
particulier au chalut pélagique, on voit
apparaître de nouveaux types de navires construits en
acier ou en polyester, qui proviennent d'autres
régions françaises. Dans les années
1980, les chantiers de Ciboure se regroupent pour construire
quelques unités destinées à la petite
pêche ou à la pêche côtière,
mais ces bateaux ne présentent plus une
identité locale. Ils sont construits en bois ou en
polyester.
On assiste donc
à la quasi disparition de la construction en bois et
de la construction de formes dites "traditionnelles". Les
quelques sursauts concernent le lancement d'embarcations
traditionnelles à vocation patrimoniale ou de loisir,
sous l'impulsion principale d'associations locales comme
Itsas Begia et Ur Ikara (1) : les années 1980 et 1990
ont vu le lancement d'une quinzaine de battelas (en bois ou
en plastique) et de la chaloupe (txalupa handi) "Brokoa",
dernier grand bateau en bois construit à
Socoa.
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1 - Ur Ikara est
une association pour la promotion et la pratique de l'aviron
de mer sur les battelas.
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Evolution typologique des embarcations
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Avec
l'apparition de la vapeur, les formes traditionnelles des
bateaux voile-aviron du Pays Basque sont abandonnées
au profit de la forme dite "cul de poule" ou forme "dundee".
Les premiers vapeurs sont construits de façon
classique, c'est-à-dire bordés à
franc-bord sur membrures de chêne chantournées
(2). Cette technique est ensuite abandonnée dans les
chantiers de Ciboure, au profit de la construction à
franc-bord sur membrures d'acacia ployées à
chaud (3). Cette technique présente les avantages
d'une construction légère et solide,
permettant la construction d'embarcations rapides
nécessaires pour les pêches pratiquées
à Saint-Jean-de-Luz - Ciboure.
Dans les
années 1920, apparaissent les premiers bateaux
à moteur essence. Ce type de motorisation est
rapidement délaissé, car ce combustible est
trop dangereux. Au début des années 1930, avec
l'apparition des premiers moteurs diesel, on voit
réapparaître les formes des anciennes
trainières, transformées pour permettre la
motorisation. Ce sont ces formes qui, à partir de ces
années-là, s'imposent dans les chantiers
locaux. La forme du bateau type trainière à
moteur se transforme par la suite en fonction de
l'évolution de la pêche locale. Au
début, ces bateaux sont des sardiniers qui ont des
formes fines et basses sur l'eau. Ils deviennent des
thoniers avec la disparition de la sardine et l'apparition
de la pêche au thon à la canne à
l'appât vivant, développée en Europe par
les pêcheurs luziens et cibouriens à partir de
1948.
Cette nouvelle
pêche entraîne une évolution des formes
de la coque, qui devient plus volumineuse pour pouvoir
intégrer les viviers dans celle-ci. Les bateaux sont
plus longs, plus larges, ont une tonture plus
marquée, et une étrave plus haute et plus
tulipée. Ils conservent cependant l'arrière
pincé des anciennes trainières. La
particularité des chantiers de Ciboure est d'avoir
conservé la technique de construction sur membrures
ployées pour des unités assez importantes
(jusqu'à 18 m), et d'avoir combiné cette
technique avec la construction sur membrures
chantournées, pour donner la technique dite "mixte"
pour les unités pouvant aller jusqu'à 20 m.
Cette technique associe une membrure chantournée pour
quatre ou cinq membrures ployées et permet une plus
grande rigidité de la coque.
Les chantiers
de Ciboure développent donc ces bateaux de formes
trainière jusqu'en 1957, date à laquelle ils
construisent leurs derniers grands bateaux. Ils ne sont plus
de forme traditionnelle, mais du type "baby-clipper",
modèle importé de Californie pour la
pêche au thon à la canne. Ces bateaux sont
construits sur membrures chantournées. La plupart des
bateaux de ce type utilisés par les pêcheurs
luziens sont construits hors du Labourd.
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2 - Dans ce type
de construction, les bordés qui composent la coque
sont posés sur les membrures déjà
assemblées à la quille.
3 - Dans ce type
de construction, la coque est d'abord bordée sur des
gabarits, puis les membrures ployées à chaud
sont posées à l'intérieur des
bordés.
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Les chantiers de Ciboure
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Pour le
XXème siècle, nous nous sommes limités
aux chantiers de Ciboure (4) dont l'histoire est liée
au port de pêche de Saint-Jean-de-Luz - Ciboure et qui
ont développé un type de construction
spécifique. Il existait également des
chantiers à Hendaye et Bayonne, mais nous ne
disposons pas d'éléments suffisants pour les
traiter dans le présent article.
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4 - Il n'y avait
pas de chantier à Saint-Jean-de-Luz.
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Chantier LETAMENDIA
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Dés la
fin du XIXème, siècle le chantier LETAMENDIA,
implanté à Ciboure, se lance dans la
construction en série de chaloupes à vapeur.
La première, baptisée "Les trois
frères", est lancée en 1886. En 1910, ce
chantier construit 54 de ces chaloupes, dont 30 pour
l'exportation (Donostia, Orio, Getaria, Ondarroa, Elantxobe,
Bermeo, Santoña, La Corogne) (5). Ces chaloupes
à vapeur sont de forme dite "cul de poule". Elles
sont construites en pitchpin (6) sur charpente et membrures
en chêne, et parfois sur membrures d'acacia
ployées à chaud. L'activité de ce
chantier semble s'arrêter au moment de la
première guerre mondiale.
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5 - Catalogue du
chantier naval Letamendia, 1910.
6 - Le pitchpin
est le nom commun américain du pin Pinus rigida.
Cette appellation de pitchpin caractérise un bois
commercial de grande qualité pouvant être
produit par diverses espèces de pins et autres
conifères : Pinus palustris, P. ponderosa, P.
pinaster, Pseudotsuga douglasii. (BRETEDEAU, J. : Le petit
guide des arbres, Éditions Hachette, Collection Le
petit Guide, 1973). Le pitchpin est utilisé pour les
bordés, le pont, les serres, les barrots, la
mâture, pour les petites embarcations.
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Chantier E.M.B.
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C'est vers la
fin de ce conflit qu'est créé un nouveau
chantier, baptisé Entreprises Maritimes Basques,
implanté à Socoa. Ce chantier, appartenant
à M. PLISSON, s'installe dans les anciens hangars
d'hydravions utilisés pendant la première
guerre mondiale. Ces E.M.B. regroupent, outre le chantier,
un armement de pêche au chalut, une activité de
mareyage et une conserverie (construction d'une cité
ouvrière à Socoa). M. PLISSON fait faillite,
semble-t-il, assez rapidement (au bout de 2 ou 3 ans), et le
chantier est repris par une Société Anonyme.
Le Directeur Général de ces E.M.B. est M.
POMMEREAU.
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En plus des
chaloupes à vapeur le chantier propose la
construction en série de chaloupe à moteur
à essence (du type "Anna Héloïse") (7).
Il construit plusieurs bateaux de ce type pour le port de
Capbreton. Ce chantier emploie une trentaine d'ouvriers
(charpentiers, forgerons, mécaniciens). Le roi
d'Espagne hiverne ses 2 bateaux (8 m) dans ce chantier. Le
chantier emploie "ñañi" HIRIBARREN comme
contremaître, et celui-ci reprend le chantier en 1932
sous le nom de NAVALE SOCOA.
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7 - Catalogue du
chantier naval E.M.B.
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Chantier DUPEROU
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Vers 1924-1925,
Antoine Dupérou installe son chantier sur les bords
de la Nivelle avec l'appui financier de Pascal ELISSALT,
dont il est parent. Ce chantier n'a pas une grande
activité et fait faillite assez
rapidement.
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Chantier "CHENEL"
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Ce chantier,
situé rue Bourousse à Ciboure, appartient
à IRIDOY dit "Senen", et existe dans les
années 1927-1930. Il construit plusieurs bateaux pour
l'armement Elissalt.
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Chantier SANSEBASTIAN
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Cette
entreprise a principalement une activité de travaux
publics et travaille beaucoup avec les Ponts &
Chaussées de Socoa à l'entretien des digues.
Elle dispose aussi d'un chantier situé à
Socoa, qui construit plusieurs bateaux de pêche,
principalement avant la seconde guerre
mondiale.
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Chantier HIRIBARREN ou NAVALE SOCOA
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Ce chantier
poursuit la construction de sardiniers à vapeur de
forme "cul de poule" mais on voit réapparaître
avec l'apparition du moteur diesel des embarcations de forme
dite "trainière". Ces bateaux de type
trainière vont marquer la particularité de la
construction locale jusque vers la fin des années des
années 1950 pour les plus grandes unités, et
vers la fin des années 1960 pour les plus petites.
Une autre particularité de la construction locale est
la construction sur membrures d'acacia ployées
à chaud. Cette technique présente l'avantage
d'une construction légère mais solide (les
pêches pratiquées demandent des bateaux
rapides) et d'une plus grande rapidité de
construction.
Parmi les
bateaux construits au chantier HIRIBARREN, on peut signaler
le bateau "Marie-Rose" construit en 1934 pour la station de
pilotage de Bayonne. Toujours basé à
Saint-Jean-de-Luz, ce bateau est aujourd'hui encore en
activité en tant que bateau de promenade. Il est un
des rares bateaux réalisés par ce chantier
avec la technique de construction sur membrures
chantournées. Ce chantier, dont les fils ont
succédé au père, construit plus d'une
soixantaine de sardiniers et thoniers de pêche
artisanale jusqu'en 1957. C'est à cette date qu'il
construit le dernier bateau de grande taille, qui ne sera
plus de forme "trainière" mais du type
"baby-clipper". L'activité se poursuit jusqu'en 1982
avec la construction de bateaux plus petits et l'entretien
des bateaux en activité.
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Chantier MARIN
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Ancien ouvrier
du chantier HIRIBARREN, Grégoire MARIN s'installe
à Ciboure en 1937. Ce chantier construit, entre 1937
et 1957, une quarantaine de sardiniers et thoniers avec la
même technique de construction sur membrures
ployées. Comme le chantier HIRIBARREN, il construit
son dernier grand bateau en 1957, et c'est aussi un
"baby-clipper". Le chantier se transmet de père en
fils, et les petit-fils de Grégoire Marin
maintiennent l'activité du chantier.
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Chantiers ORTIZ & ORDOQUI
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Ancien du
chantier Sansebastian et établi à son compte,
ORTIZ s'associe avec ORDOQUI après la deuxième
guerre mondiale. Ils s'installent à Socoa et
construisent ensemble un bateau d'environ 18 m dans le
chantier Sansebastian puis s'établissent dans un
local de l'actuel restaurant Margot. Ensuite, ils se
séparent et s'installent chacun à leur
compte.
Le chantier
ORTIZ s'installe vers 1950 à son emplacement actuel,
près du restaurant Margot. Il construit une
série d'embarcations de pêche de 8 m. La plus
grosse unité est un bateau de plaisance en acajou
d'environ 12 m le "Bergara".
Le chantier
ORDOQUI s'installe sur un terrain familial du quartier
Briquet Baita. Repris par les fils, il s'installera par la
suite dans les locaux du chantier HIRIBARREN, après
la cessation d'activité de celui-ci.
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Chantier
DOUAT
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Après
avoir débuté au chantier HIRIBARREN en 1937,
Douat s'installe à son compte, après la
seconde guerre mondiale. Disposant d'un petit chantier et
travaillant seul, il se spécialise dans l'entretien,
l'aménagement de passerelles et la construction de
viviers avec l'apparition de la technique de la pêche
à l'appât vivant. Il ne construit qu'un bateau
pour son propre compte.
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Chantier HIRUAK BAT
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En 1985,
après une période surtout consacrée
à l'entretien des bateaux existant, les chantiers
MARIN, ORDOQUI et ORTIZ décident de s'associer pour
la construction de ligneurs et fileyeurs d'une douzaine de
mètres pour le port de Saint-Jean-de-Luz - Ciboure.
Ces bateaux sont construits en bois ou en polyester. Le
dernier bateau en bois sorti de ce chantier est le "Brokoa",
réplique d'une txalupa handi du XIXème
siècle, construite pour l'association Itsas Begia
dans le cadre du concours "Bateaux des côtes de
France" et primée à Brest en
1992.
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En dehors de
ces constructions neuves, ces chantiers travaillent
indépendamment à l'entretien des bateaux du
port (professionnels et plaisanciers). En 1996, Ortiz ayant
pris sa retraite et Hiruak Bat n'ayant plus de commande de
construction neuve pour la pêche, les chantiers Marin
et Ordoqui arrêtent leur association pour poursuivre
leur activité
séparément.
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